Le secret de l’enfant

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Enfant, imaginer la vie. Une salle d’attente, immense et vide. L’enfant est libre, ne le sait. Il rêve d’une flèche taillée par le temps, embellie de plumes apaches, de fleurs, plantée dans le noir des ans.

De sa pointe fouiller, faire surgir la merveille des merveilles. Un aveuglant amour dans sa chambre-monde. Seul compte le vertige. J’y suis. Borges sur le même banc que l’enfant, à côté de lui-même, jette une pièce d’or au fleuve.

Retrouver l’infini, affronter la blouse blanche ou grise, corps tremblant, thermomètre et seringue pleine d’un philtre inconnu. Mixture perdue dans le gouffre de l’histoire. N’éprouver ni tristesse, ni nostalgie. Aimer, le secret de l’enfant.

texte et dessin (Enfant du goulag, v. 1939-40 ; Child (and her mother), d’après D. Lange, Wapato, Yakima Valley, Washington, août 1939 ; graphite, pierre noire, 24/02/20) ©JJM

Bégayer dans la tristesse et la joie

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Passer sa vie à bégayer dans la tristesse et la joie d’être. Adorer des ombres, impalpables, lascives. Elles séduisent, elles effraient. Ici là, figé, peindre une image du vent, du ciel rayé, d’un beau visage marqué.

S’y enfouir pour toujours. Fermer, ouvrir les yeux, et qu’enfin palpitent la nuit étoilée, la lune nouvelle, l’ombre du soleil enfui, tapi derrière un lourd rideau de poussière rouge. Ne pas pleurer et sous la pluie, attendre et résister.

Le visage s’est réfugié dans son reflet, caché à lui-même. Jamais l’ombre ne disparaît à midi, elle tombe au cœur d’elle-même et patiente. Chercher encore, traverser à nouveau. Mur troué par la meurtrière du jour. Jeu de lumière, les rues enserrent un soleil prometteur. Secrets, les êtres glissent.

texte et dessin ©JJM

Lumière des coulisses

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Des coulisses à la lumière, une aventure, unique. Nul ne maîtrise le passage. Le corps jeté en scène, roule sous le feu, la pluie et le silence. Un cri. Les mots sortent de l’ombre et masquent le cri, le maquillent. Personnage.

Les mots dessinent un lieu clos, ouvert sur lui-même. Tout commence là. Devant un mur à traverser, nul retour possible. Ne rien laisser derrière, il n’y a rien. Oublier l’avant incolore. Le dire l’annule, le renvoie à l’épaisseur de son absence. Alors entrer dans la lumière et le jeu du clair-obscur.

Autres murs, autres passages, après. Les mots le disent, paradis perdu, à venir. Les tragédies sont un combat vital, un amour des coulisses, de la rampe. Traversée hésitante, une merveille. Être sur scène, où les regards se croisent.

texte et dessin (Statue de rue à Rome ; Spectateurs, Concert de V. Horowitz, 20/04/1986, Moscou ; 18/02/20) ©JJM

La main se souvient

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Les mots sont anémiés. La main s’étonne et trace à jamais de quoi briser l’errance et contenir la vie. En chemin vers la clôture du gouffre, de la faille, parer la plaie de l’être. Les bêtes s’y réfugient, apaisées. Effacer, pour toujours, l’incertitude de la peau effleurée et meurtrie.

Si près, l’abîme du soi où le soleil se perd. Ne jamais fermer l’œil, être à l’affût. Creuser, racler, donner voix et lumière à ce qui gît profond. Échouer sur un rivage de lune, à l’ombre de grands arbres, libre.

La main trace sur l’eau l’heure du départ. Vers où, nul ne sait. Avant, dedans, naïveté. Enfant perdu. Ne rien voir ni savoir, suivre les lignes brisées, qui font surgir ce qui n’existe plus, pas encore, caché, secret, refusé. La main se souvient et dessine un visage.

texte et dessin (Olga Adamova Sliozberg, 1902-91, arrêtée en 1936, 18 ans de goulag, avant et après ; graphite, 21/02/20) ©JJM

Au petit matin

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Fragiles images, tenaces, profondes. Vulnérable et fuyante, la vie leur doit tant. Elles couvrent les plaies invisibles, les fissures. Au fond du puits le ciel.

Elles se détachent d’on ne sait où, consolent un temps, nous prêtent leur harmonie, leur éclat. Du panier enfoui sortent les mélodies de l’origine, et celles à venir, fil tissé d’or de nos rencontres, de l’histoire hétéroclite, de moments concassés par l’existence.

Poser les yeux, paysage, figurine, fleur. Chantent un rivage, une ruelle ensoleillée, un jardin de Rome, et la voix de Billie triturée par l’amour, les cigales, âmes de poètes morts, gardiennes d’une lumière parfumée, oui, et ton visage au petit matin.

texte et dessin (en cours) ©JJM

Houle de Jazz

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Les mots cognent et crient. Dents serrées. Mots étouffés. Sur mon visage, est-ce moi. Rien n’est visible – ou Soi. Un souffle.

Où. Ni fenêtre, ni masque. Les yeux cherchent un arbre. La bouche happe l’air des rues. Dans les oreilles, houle de jazz. La peau affleure, flotte au vent.

Pas de frontière, ni de falaise, d’île à l’horizon. La mer, à l’infini, de l’eau – Oh, Blessure. Soleil et Joie, l’or des jours. Douceur, fragile et murmurée.

texte et dessin ©JJM

Hamlet est fou

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Tu vois, partout, cothurnes de bronze et masques trop serrés. Petites tragédies de poche, aléatoire dramaturgie où le vent souffle, funny Valentine, you make me smile, saigne mon cœur.

Au jardin, merles dans le figuier, tourterelles affairées, pie aux aguets. L’été renaît de sa mort annoncée, et le matin n’en finit pas de balayer le ciel, à grands coups d’autan. Côté cour, une trompette ruisselle.

Visage plissé de Chet. Une robe magnifique, la traîne se perd en coulisses et, sur scène, choisir. Ophélie, Il m’a prise, très fort serrée, puis il s’est éloigné. Hamlet est fou. Non, tout va bien, danse. Le dernier mot n’est à personne, qui dans l’air du soir fait trembler les arbres, se joindre nos mains.

texte et dessin (en cours) ©JJM

Vaines prières

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Il n’y a rien au-dessus des arbres, rien, sinon la violence des paroles consumées, la vacuité des promesses, la boiterie de l’homme blessé. Quelques rires épars, dans la forêt amnésique. Le ciel est lacéré de vaines prières. Le silence est un gouffre.

La neige rouge tapisse les trottoirs, les corps rebelles. Chaque branche, lancée plein ciel, se fait racine, appel ou réponse, pleur brûlant, rire enfantin. La naïveté combat la mort. Les oiseaux le savent. Ils se posent, élégants, plumes colorées de chants inouïs, tandis que le bois rumine et fouille les entrailles.

Alors je ferme les yeux, visage collé à l’écorce rugueuse ou lisse. Oh, la chaleur coule en moi, je n’entends plus rien. Je n’ai plus qu’à me laisser vivre. Les mots refluent, rejoignent l’humus.

texte et dessin (d’après El Greco, Cristo abrazando la Cruz, pierre noire) ©JJM

Les mots de ton silence

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Le sang coule sous le marbre, le corps jaillit du bloc. Le volcan des yeux couve une blessure, la beauté. Ton pouls bat la chamade. La passion n’est-elle vive que tragique. Oh, ta pâleur florentine rappelle du jasmin le parfum.

Princesse, toi l’inconnue, dans un musée emprisonnée, qu’as-tu vécu de si pur, de si douloureux, quel drame ta bouche tient-elle secret, quelle joie fragile, sous un diadème peint. Tu as affronté un matin glacé, une nuit tu as tremblé, cœur dévasté, en toi grondait l’orage. Tu t’est levée pour voir le ciel et la forêt.

Tu chantais, voix perdue dans l’éther. Tu rejoignais les oiseaux tissés de tes mains sur la tenture des saisons. J’ai chuchoté, au cœur d’une foule de Babel, j’ai osé te parler. J’ai inventé les mots de ton silence. Le marbre était chaud. Le soleil caressait tes bras et tu m’as souri.

texte et dessin (Tête féminine, plâtre, coll. Ingres, MIB Montauban ; pierre noire, 09/02/20) ©JJM