Les grands pins accueillent, de leur tendre vert,
les rayons du matin. La brise de mer fait onduler
les cimes. Les branches s’agitent en guise d’adieu.
À l’infini nocturne, un cargo glisse vers l’Afrique.
Des oiseaux se poursuivent en criant, jaillissent
et soudain plongent dans le secret des ombres.
Le sous-bois est tapissé d’aiguilles. Les agaves
lancent leur première et dernière fleur, tragique.
Immense plumeau tendu vers la lumière, la mort,
le ciel que rien ne peut émouvoir, muet. Il tient
sa revanche sur le destin. Une ultime offrande au
désordre de la vie. Tout là-bas, encerclée par l’eau
incendiée, la ville prépare le marché aux légumes.
Les volailles battent des moignons d’ailes dans
des cagettes ficelées à la hâte. Le sable garde des
traces de la nuit, des corps jetés au sol par le désir.
De la terrasse, je peux toucher un pin majestueux.
Il lance vers moi sa ramure de peintre. Cézanne
se cache, tant d’autres. Nous parlons. Ses pommes,
plus denses que la philosophie. Son tremblement
dessine le frisson, l’extase. Il n’a ni fusil, ni hache,
ni mépris. Il abrite les oiseaux, ne les abandonne
jamais. Se sentir moins seul, traversé d’émotions
bleues et noires, se retrouver plein ciel, si léger.
Ils se posent sur ses branches, pour le consoler.
Tout arbre cache un chagrin immémorial, tu sais.
L’écorce accroche le sel des embruns, se fendille,
sans cris. Si j’avais sa force, je me tairais à jamais.
30 04 16. Épiphanies 81