La mangrove

Au cœur de la mangrove parfumée de laitance,
luit une fleur écarlate auréolée d’absence et de

vains papillons, peints à la va-vite, sans tige ni
feuille. À l’ombre amoureuse des racines lianes

ou branches tombées, la tache sanguine palpite.
La musique des abeilles, des libellules, tamtam

minuscule de la vie, caresse nos visages étonnés,
sous un ciel clairsemé d’oiseaux encre de Chine.

21 01 17

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Le fil d’or

Le brouillard n’y est pour rien, ni la neige ou le froid.
Pourquoi faut-il toujours quitter l’ici, sans ailleurs là.
Ne vois-tu pas que le sillage est effacé, Grec antique,
les yeux crevés, oh non, dessous, la douceur et la joie

trépignent, un rien suffirait, un mot, un pas, s’en aller.
Les paroles s’égarent au cœur des ramures, et la lune
s’affole. Le tamtam des arbres frémit. Le chagrin use
l’écorce. Son aiguille blesse l’aubier, mais l’arbre vit.

Je te vois, non, n’y crois pas, tu es cachée, où, jamais
je n’ai su. J’arrive, mon visage attend la neige. La rue
est illuminée. L’abandon est une route escarpée, rude.

Tais-toi, tu cries, cherche un mot, un seul et cache-toi.
Inaccessible est le cœur. Le profond est si haut, il fuit,
tremble au bout du doigt, se souvient de nous, fil d’or.

15 01 17

Marcher sur la neige

Magie de l’eau, du dernier mot à la dérive, hésitant.
Lancé par qui, libéré du corps lourd, là-bas, allongé
parmi les pierres, les arbres glacés. Urgence du mot,
premier et dernier, oh, dont tu ne veux pas. Pourtant,

il est la vie, sa vie sans toi n’est rien, le mot chante
l’arrachement et le retour, la lumière et la tempête.
Il ne sait plus, appelle, implore. Folie des hommes.
La beauté peine à tracer un chemin, mot agonisant.

Soleil indifférent, la sève a rejoint le profond. Tu te
tais. Le mot suffoque, saute les vagues, il accroche
une branche nourrie de pluies à venir. Cri du corps.

Le printemps sera rouge sang, oui, rouge de la vie.
L’amour se noie, non, jamais, et les enfants jouent,
tu sais, l’océan boit le fleuve. Marcher sur la neige.

13 01 17

Bourrasques

Dis-moi que faire, toi qui as tout jeté à l’océan.
Dis-moi que dire, si la houle avale cris et peurs.
Comment garder le même visage, ou se cacher,
se montrer, sans fard ni fatuité, dans l’abandon

de soi. Chante-moi la complainte des naufragés.
Je veux retrouver le fil ténu du vent frais, rêver.
Dans l’eau du silence, dis-moi, qu’y a-t-il, rien.
Ouvre les yeux, lâche, regarde la vérité en face.

Expose-toi, sans crainte de risquer ta vie, noyée
dans le puits d’un regard refuge, offerte à toutes
les bourrasques. Se cacher au creux de tes mains,

c’est cela, se découvrir, danser sur tes paumes et
respirer l’air de ta peau, fermer les yeux, et voir.
Dis-moi, toi qui as tout jeté, oh, qu’y a-t-il après.

12 01 17

Le feu et l’eau

Ne crains pas d’arracher ta langue, si dans ta main
la pluie traverse la peau. Si les mots t’abandonnent,
si le sol se dérobe, elle ne peut plus rien. Elle flotte
au milieu des ruines. Accepte, laisse-toi aller au gré

d’un silence meurtri, entre mur blanc et porte close.
Souviens-roi du rêve ultime, où tu as avalé tes mots.
Des pas furtifs, là, un regard fuit, tu suis une ombre.
Tu as suffoqué. D’autres repousseront dans ta gorge.

Ne crains rien, ils sont engloutis par le fleuve. Mais,
mon corps brûle. Et de mes doigts, de mes cheveux,
de mon ventre, des flammes éclairent le lit, les livres.

Elles caressent mes jambes. Une pluie fine coule sur
mon visage. Le feu et l’eau, mon crâne s’ouvre enfin.
Dans la douceur du matin glisse un nuage de cendres.

11 01 17

Soleil de nuit

Ailleurs m’a chassé, je veux partir n’ayant plus
rien, à dire, à faire. Marcher au loin, rêver, rire.
Messine, Tombouctou, je sais, oui, à New York.
Les rails de sang battent mes tempes, sillonnent

la forêt. Tamtam du ciel esquissé, des cigognes,
grand Sud ou grand Nord, vent bleu. Oh, chassé
d’ici. Est-ce dedans, est-ce partout. La frontière
n’existe plus. Sable et cailloux, banquise, océan.

Dessiner du bout du doigt sur la buée une carte.
Ouvrir un matin à venir. J’irai à Shanghaï, Rome,
Tanger, oui, Volubilis au loin. Ruines où le jazz

de Harlem peint un soleil de nuit, devant l’hôtel.
Palmier géant, figuiers, chants, fenêtre mythique.
Le port tremble, les oiseaux sont inquiets. Rêver.

10 01 17

Paysage de Chine

Croyance en la beauté, j’ai cru, seule elle peut,
je l’ai cru, tatoué sur ma langue, sur mes yeux,
la beauté, vaincre la tempête, crachats du ciel,
nuées d’oiseaux noirs, la beauté, où, des mots,

de la peau nue, des doigts légers, croyance en,
en sang, avant le silence. Le flux de colère, oh,
non, de douleur, que dis-tu, la colère n’est rien,
vaine hémorragie de l’imagination, la douleur,

oui, beauté douloureuse, se cache, timide, elle
mue, elle bat de l’aile, papillon désespéré, oui,
la beauté s’en empare, le mange, oh, danser de

douleur, dans le tourbillon des feuilles rougies,
au couchant, paysage de Chine peint par Li Yü,
chant d’une nuit de fête, tu sais, ombre lunaire.

09 01 17

Chants millénaires

Il n’y a rien au-dessus des arbres, rien, sinon
la violence des paroles consumées, la vacuité
des promesses, la boiterie de l’homme blessé,
quelques rires épars, dans la forêt amnésique.

Le ciel est lacéré de vaines prières. La neige
rouge tapisse les trottoirs, les corps insoumis.
Chaque branche, lancée plein ciel, est racine,
appel ou réponse, pleur brûlant, rire enfantin.

Les oiseaux le savent, qui se posent, élégants,
plumes décorées de chants millénaires inouïs,
tandis que les troncs ruminent. Alors je ferme

les yeux, visage collé à l’écorce rugueuse, oh,
la chaleur coule en moi, je n’entends plus rien,
je n’ai plus qu’à me laisser vivre, apaisé et nu.

08 01 17

Un mystère

La musique a déserté la forêt. Oiseaux exilés.
Les branches nues frissonnent. Oh, vent glacé.
La joie se terre dans l’ombre des mots oubliés.
Épaisseur des murs. Traces, où. Cosmos muet.

Émotions enfouies sous les décombres du ciel.
Vivre et sentir, oui, accueillir le moindre souffle.
Lever les yeux, affronter une histoire inouïe. Oh,
te souviens-tu du sable pâle. Traînées d’algues,

coquillages écrasés par la houle, lame d’écume
tranchant dans le vif du vent. Marcher au bord
d’un mystère. Rire avec les mouettes affamées,

tandis qu’aux fenêtres s’agitent les peintures
de demain et d’ailleurs, tu sais, quand le froid
pique les doigts. Au loin, un cargo vert pomme.

05 01 16