Qu’y a-t-il après

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Dis-moi que faire, toi qui as tout jeté à l’océan. Dis-moi que dire, si la houle avale cris et peurs. Comment garder le même visage, ou se cacher, se montrer, sans fard ni fatuité, dans l’abandon de soi. Chante-moi la complainte des naufragés.

Je veux retrouver le fil ténu du vent frais, rêver. Dans l’eau du silence, dis-moi, qu’y a-t-il, rien. Ouvre les yeux, lâche, regarde la vérité en face. Expose-toi, sans crainte de risquer ta vie, noyée dans le puits d’un regard refuge, exposée à toute bourrasque.

Se cacher au creux de tes mains, c’est cela, se découvrir, danser sur tes paumes et respirer l’air de ta peau, fermer les yeux, et voir. Dis-moi, toi qui as tout jeté, qu’y a-t-il après.

texte et dessin (Migrante, D. Lange, USA 1936, et Tête, G. Drouet, 1662, M. des Augustins, Toulouse ; pierre noire, mine de plomb, 30/01/20) ©JJM

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Dessine au fond de l’océan

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Es-tu certain de n’avoir blessé personne, ton corps brûle, ta pensée flotte. Le ressac, ta colère, s’écrase sur les rochers de ton crâne. Les coques, les oursins se délectent de riens. Toi, pour qui l’amour est un phare, tu es aveuglé par tes émotions, le séisme de l’ombre.

Sauve-toi, nage, plonge, dessine au fond de l’océan, dans la poussière nocturne des abysses. Là où tu échoues, au cœur du doute et de la joie, se tient la forêt. Les esprits veillent, leurs yeux furtifs donnent aux feuilles l’éclat du diamant.

Le soleil est partout, en toi. Le sang est si chaud. Sous tes pieds la mousse rouge crépite comme de la neige. Il suffit d’un parfum connu de toi seul, pour que s’envole, naïf, le papillon de tes mains, vers la beauté, le seul refuge.

Texte et dessin (Caïn…, H. Vidal, 1896, J. des Tuileries, Paris, et L’homme au mouton, P. Picasso, 1943, M. de la Reina Sofia, Madrid ; pierre noire, mine de plomb, 28/01/20) ©JJM

La dernière fois

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Les mots sont anémiés. La main s’étonne et trace à jamais de quoi briser l’errance. En chemin vers la clôture du gouffre, de la faille, parer la plaie de l’être. Les bêtes s’y réfugient, apaisées. Effacer, pour toujours, l’incertitude de la peau effleurée.

Si près, l’abîme du soi où le soleil se perd. Ne jamais fermer l’œil, être à l’affût. Creuser, racler, donner vie et lumière à ce qui gît profond. Enfin, échouer sur un rivage de lune, à l’ombre de grands arbres.

La main trace sur l’eau l’heure du départ. Vers où, nul ne sait. Avant, dedans, naïveté. Enfants perdus. Ne rien voir ni savoir, suivre les lignes libres, qui font briller ce qui n’existe plus, ou pas encore, caché, secret, refusé. La main se souvient et dessine, pour la première fois, pour la dernière fois.

texte et dessin (d’après E. Degas, Petite danseuse, 1878-81, Orsay, et D. Lange, Damaged Child, 1936 ; pierre noire, 27/01/20) ©JJM

Ce qui éclaire les nuits

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Ah, dessiner, lancer le trait, la mine ou la pointe, et donner forme et matière à tout. Au vide. Chasser le silence, le rouer de traits, le maquiller de pierre noire. Rayer, lisser, marquer d’un secret herbier le territoire des leurres, de l’attente et de la mort. Lutter d’une main extatique, précise.

Voir jaillir dans l’éclair d’un regard la pénombre des forêts. Le parfum, la pâleur d’un visage endormi sur l’herbe. Insupportable repli, mots reclus. Ouvrir la cage. Seul, à ce moment, dessiner. Corps, main, et feu. Retrouver de la danse le secret. 

Fluidité de l’âme, paroi enfumée d’une grotte cachée, enfoncée dans les ronces du ventre. Cri du charbon aiguisé, de la plume arrachée, trempée dans le sang. Avoir alors, sous les yeux, ce qui éclaire les nuits.

texte et dessin (en cours) ©JJM

La pluie

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La pluie se rit des toits, des fenêtres fermées. Elle pénètre partout, n’a que faire des paupières blessées, des cils blanchis de sel. Indifférente à la dévastation et aux ruines. Les chicots de murs que la guerre fait fleurir puent la brique mouillée. Sur les corps, l’humidité moisie des ans, l’histoire d’enfants sautillant au milieu des gravats.

La pluie lave, aussi. Elle met à vif la chair des rues. Croûtes du temps et sédiments de saleté sont jetés à la mer. Elle n’oublie pas, non plus. Elle contient tout et disparaît, s’enfonce dans le sol. Elle est l’oubli.

L’oubli résiste à tout, sauf à lui-même, rappelant le chaos qui le vide de sa vanité. Sa faiblesse, le fleuve hors de son lit que la mémoire écope. L’incessante chute du ciel et le vertige des hommes. Alors la pluie est là, et les visages s’adoucissent, avec le temps.

texte et dessin (en cours) ©JJM

Ciel de fortune

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La lampe-tempête recouvre d’un tulle jaunâtre le lit touffu, matelas fripé, les murs de terre craquelée. Petite fenêtre bricolée, vitre piquetée de moucherons. Constellation silencieuse de la moustiquaire. Oh, cris étouffés d’une lumière évanescente. Il boit une gorgée de café, ouvre la porte de tôle ondulée.

La forêt de tecks jette son ombre poussiéreuse sur le torchis des cases. Le vent du bush a soufflé du nord, cette nuit. Il devine, ici là, les cathédrales de latérite et de bois digéré par les termites, accrochées à des troncs sacrifiés, moignons de branches implorant les cimes sèches. 

Le jour se lève. Sur la rive, une nuée d’enfants mêlent les rires aux tissus étalés. Il traverse le village. L’eau du fleuve dessine un avenir fiévreux, que le soleil d’un coup dissipe, en plein ciel de fortune.

texte et dessin ©JJM

Paysage de savane

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Huttes à moitié cachées, entourées d’épineux. Torchis de latérite et de palmes tressées. Bougainvilliers éclatants, à l’ombre épaisse et noire. La fumée d’une pipe. Dents d’une vieille femme accroupie, ridée, drapée de fleurs, les yeux enfouis dans le manguier. Fruits lourds, ciel tendu sur le village écrasé de moiteur.

Il avance à pas lents craignant de tout briser, le sommeil des enfants, le murmure des arbres et le cri d’un invisible oiseau, sur fond de savane. Un petit cochon noir bataille sur le seuil avec un papier succulent, gras et juteux.

Un camion passe dans un nuage, bringuebalant de ci de là, chargé de coton. Le ciel s’est assombri d’un coup. Lame de couteau rouge à l’horizon. Les grands acacias brûlent. Aller au sud, jusqu’à l’océan.

texte et dessin ©JJM

Afriques nocturnes

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Te rappelles-tu nos Afriques nocturnes. Oh, feux de latérite sous les grands flamboyants, musique des marchés de brousse, tamtam des corps enluminés, et les forêts percées de fleuves invisibles. Jamais ne cesse, au fond des yeux écarquillés, le jeu des masques, noire Venise, ni la palpitation des seins sous les doigts.

Au bord des pistes, oui, d’immenses falaises. Dans le silence des rivières, des plateaux, au bout de pontons rongés d’histoire, devant une porte entrouverte, seule la patience lutte contre l’incendie des forêts que fuient les animaux.

À la fenêtre, les nuages s’étirent en lames d’arc-en-ciel, pour apaiser les nuits, les corps à l’affût. Te rappelles-tu ces nuits de palabre et l’univers joyeux. Tu évoquais l’Italie, Turin, où nous attendaient d’autres Afriques.

texte et dessin (duo Piero della Francesca, Battista Sforza, 1455, M. des Offices, Florence, et Ibedji Yoruba, Bénin ; pierre noire, mine de plomb et graphite, 23/01/20) ©JJM

Le volet entrouvert

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En pleine nuit ou au petit matin, se lever, s’en aller, sans jeter un regard, derrière ou je ne sais, dans le temps. Tout serrer au fond de soi, et ne plus rien sortir, rien. J’ai froid, printemps glacé. M’habiller, fermer l’eau, le gaz. Laisser une lampe, illusion de présence. Mais toute présence n’est-elle pas illusion.

Oh, qui va s’inquiéter, personne, c’est ma faute. J’aurais dû partir avant. Avant quoi. Avant. Une succession d’avant, je pourrais remonter si loin, avant moi. Je ne sais pas partir, tourner les talons, hop. Dans ma tête, je traîne, rêvasse, oublie. Je, c’est trop dire. Il, voilà. Le centre est ailleurs, pas moi. Excentré.

Il essaie, est invivable. Se lever, s’habiller, partir. Il en est capable, croit-il. Enfant, simulant une tétraplégie, était-ce une façon de partir. Tout le monde y avait cru, lui aussi,  en pleurs, riant. Laisser le volet entrouvert, chambre rangée. Une fois dehors, oh, tous ces visages sur le départ, sur le retour. Palimpseste de présences effacées, recouvertes, dévoilées. Il reste les yeux, le fil tendu des regards.

texte et dessin ©JJM

La part secrète

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Les mots fusent en tout sens. En coulisse on s’agite, scène et salle confondues, les acteurs sont partout. Le texte est infini, mais le temps compté. Amour. Phèdre va parler. Hamlet est-il fou. Oh, Lucia meurt, et pour Francesca, tourments éternels.

Un rideau de sang sépare le jour et la nuit, après un combat inégal, une joute tragique, béance du destin. Tout est possible, alors. La minute à venir ouvre sur la douceur des corps abandonnés mais libres. Force. Le drapé des costumes oriente les regards, les mains se tendent enfin, les paroles sonnent.

L’entre-deux délivre la part secrète, la malédiction est un leurre. Le voyage est imminent. La mer est là, qui attend et miroite pour qui ne ferme pas les yeux. Du profond, jaillit, volcanique, le désir de beauté.

texte et dessin (variations sur un plâtre de J.-B. Hugues, Les ombres de Paolo Malatesta et Francesca da Rimini, v. 1877, Orsay ; graphite, pierre noire, 21/01/20) ©JJM