(d’après Dorothea Lange, Damaged Child, août 1936. 31/12/18 ©JJM)
Cette nuit, la colère l’a emporté sur tout, sur l’abyssale solitude des Mortels, sur la perte de confiance en soi en tous, confiance de pacotille, leurre de diamant, l’attaque en règle de l’usage des mots, cailloux, fleurs, aveux, caresses, appels lancés au visage, en l’air retombent en pluie, en volutes de suie aussi noire que la nuit, quand la nuit s’effondre sur elle-même, puis explose, fascinante et morbide,
colère d’Achab, au fond du ventre, des poumons ouverts, cœur blanchi de sel et de cris d’oiseaux, tenace défi chevillé au corps blessé, à marcher sur l’os de long en large, de la porte à la fenêtre, du garde-corps au lit-océan,
colère distillée dont le dénouement est une nuit plus profonde encore, je ne sais,
colère de l’enfant, de l’ange, lui, toujours là, non par la perte d’un jouet, colère sans objet, ou bien le jouet c’est le monde, et la vie, oui, ou un regard à peine offert aussitôt refusé, évanoui, évaporé, soudain lointain,
colère contre le vide, contre l’absence, celle de l’homme serrant dans ses bras un nuage que le soleil fait fondre, qui ne sait plus ce qu’il cherche ni même s’il cherche,
colère face aux tortures, de l’humain arraché à l’humus, homme femme, c’est égal, colère de trop, elle signe la perte radicale de ce qui irrigue la vie, associée à un refus du spectacle, à la légèreté écrasante de la farce sociale.
Peut-être faut-il en passer par cette colère, pour laisser être les interstices de jour, et là encore, colère d’en être réduit à cela, tout regard dilué dans l’eau pourrie d’une déréliction sans dieux, pur abandon de l’amour.
Cette nuit, une saine colère, tendresse bafouée, l’a emporté sur tout, jusqu’à s’éteindre dans un corps fourbu, ne laissant que des braises, un horizon fragile, le voile déchiré du destin, et l’espoir de ton regard, de ta voix, de ton corps.
©JJM