Fleurs

Jamais, au bout du monde, ne se lamente l’être / En ce moi de passage. Sauvage, il recueille de / Tes mains de tes yeux de tes jambes nerveuses / Les reflets matinaux. Au bord d’un précipice,

Il vise l’horizon, jamais ne se retourne. Assailli / Par le feu des nuages, par l’ombre des baleines, / Il fixe la houle où tu te caches, oublie le temps. / Tu tiens des fleurs, elles sont là, et le champ où

Le vent les malmenait, et le visage tendu vers le / Ciel, main en visière, toi qui les nommais, repue / De leur parfum, et la sirène d’un paquebot, et le

Monde alerté, oh, tout cela. L’être ne désespère / Jamais dans la noire tourmente. Ivre d’embruns / Musqués, il chante. Un éternel enfant, si joyeux.

Photos : Plafond, Galerie Borghese, 23/08/18, 15:40 ; Pivoines, cloître des Augustins, Toulouse, 21/05/17, 17:28 ; Statue, Cour carrée du Louvre, 09/11/19, 08:56 ; sonnet ©JJM

Publicité

L’Effacement

Qu’as-tu vu de moi, aurais-je laissé échapper / Je ne sais quoi, ou entendu, de ma voix, miel, / Océan. Touché, j’ai tressailli, regards d’enfant, / L’effondrement dedans, le sol se dérobe, je les

Croyais perdus, oh, qu’as-tu fait. Lumière, joie / Dansante, inépuisable douceur, la nuit blanche / Seule préserve de l’incendie, oh, de l’abandon. / Reste de l’image un halo, souffle, être fugace,

Soupir d’une vague rejetée par la falaise, elle / Revient revient encore, infatigable nuit d’été. / Sur le sable les rumeurs d’une ville italienne.

Le combat amoureux, de la pierre et de l’eau. / L’image s’efface, nécessité de disparaître pour / Hanter l’âme, une coque arrachée par le ressac.

Photos : Rome : Colisée, 19/08/18, 16:32 ; Jardin de la Villa Borghese, 23/08/18, 15:18 ; Statue de rue, 20/08/18, 14:42 ; sonnet ©JJM

Nocturne 3

Il en est de certaines blessures, comme de / Coquillages abandonnés sur lesquels le pied / Se crispe, piqué par la nacre, coiffés d’algues, / Envahis par le sable au fil des millénaires. […]

D’un enfant submergé par le chagrin, n’ayant / En poche aucun mot, ni regard ou épaule, pas / Même la trace d’un refuge, sinon sa douleur / Clouée au temps, flèche sans pointe ni cible.

De ces repas sans fin, où un silence épais / Enduit les murs, remplit les cuillères au ras, / Gorges, poumons, corps, la chair étouffée, / Dehors tinte un vélo, flotte une robe légère.

De ces plaies que rien ne peut panser, elles / Atteignent l’être, ou le monde, ou la peau, / Ou les forêts d’où jamais le feu n’est absent, / Sous un soleil d’amour, séduisant et joyeux. […]

Photos : Lumières de la nuit, Front de mer, San Sebastian, España, 22 07 16 0h11 ; Portrait de jeune fille après le bal av 1885, Armand Cambon, 02 02 20 ; Antonia Minor, 36 av. J.-C., art romain, fille cadette de Mar Antoine et d’Octavie, 03 08 18 16h35 ; texte (extrait de La Boussole des rêves, éd. Le Chat polaire, 2020) ©JJM

Nocturne 2

Je tremble, ne peux rien faire, / Tends un bras et le miracle / s’accomplit, sans dieu.

J’étouffe sous le drap en boule, / Ce n’est rien. Banal drame de / l’amour, tragédie de coton.

À l’opéra, là oui, aimer à / Mourir, crier, rire, pleurer. / Mais ici, la nuit, larmes

Du trop-plein, ventre griffé. / Il suffit que je me lève et / Ramasse Le Paradis Perdu.

Extrait du « Chemin de Sable », recueil inédit

Photos : Cathédrale Saint-Étienne, Tlse, 25 12 13 16h23 ; Nuit, 20 07 15 4h38 ; Mme. de Loynes , Amaury-Duval (1862), expo MIB, Montauban, 02 02 20 14h41, texte ©JJM

Nocturne 1

Ta poitrine est criblée d’étoiles, vent de nuit,

Une et mille fois. Oh ton cœur crisse, mes yeux

Cherchent refuge dans la mémoire et je suis,

Naïf, la courbe d’un corps tracée par les dieux.

Photos : Boule métallique, place de Clichy, Paris, 04/04/15, 13:05 ; Cleopatra, Jacopino Del Conte, XVIe s., Galerie Borghese, Rome, 23/08/18, 16:44 ; Nuit, Canal du Midi, Tlse, 01/12/14, 18:08, quatrain ©JJM

Porte du Paradis

Hublot, entre dedans et dehors, un étau,

Les corps écrasés sur la vitre. Là en plein ciel,

Au Paradis, croire ou espérer, tout est faux.

Où sont la joie et la beauté, nos rires, nos ailes.

Photos : Porte, Rome, 20/08/18, 13:05 ; Écluse, Canal de Brienne, Toulouse, 15/03/21, 15:55 ; Statue, Jardin Borghese, 23/08/18, 17:28 ; Ange, copie du Bernin, Ponte Sant’Angelo, Rome, 20/08/18, 12:44, quatrain ©JJM

Le Feu

Est-ce un aria, un air de tempête, un feu de brousse. / Il court dans mes veines, voile mes yeux. Il fouette / Mon visage. Le ciel est zébré. Douceur, violence de / La scène ultime, de la passion, des corps, âmes liées.

La voix, cet élan, la voix, modulation de l’être, un air / Si pur, si clair, de l’eau, Poulenc, ou lointain tamtam. / Apaisement dans la fureur d’aimer. Mur frissonnant, / Lustre central, plafond de lumière, oh, fenêtre close.

Photos : Jean-Michel Othoniel, Precious Stonewalls, Diptyque (2018), Beaubourg, Paris, 25/07/18, 18:46 ; Apollo e Dafne, Dosso Rossi (1522), Villa Borghese, Rome, 23/08/18 16:23 ; Basilique Saint-Pierre, Rome, 21/08/18, 15:50 ; Ombre, m. du Jeu de Paume, Paris, 27/02/18, 13:05 ; Scène ultime, extrait (La Boussole des rêves, éd. du Chat Polaire, 2020), ©JJM

Loin

Née d’une infranchissable distance, soudaine / Faille ou béance de l’étonnement, de la peur / Et de la joie mêlés. Le reste, chute émaillée / De rebonds, d’envols inversés, oh, d’appels.

N’être qu’un essai, une aventure chaotique, / Obsédé par l’à-pic au bout des doigts. Non, / Juste une illusion, la présence fuyante d’un / Halo d’ombre, de lumière, oui, de douceur.

Tenter, toujours, d’attraper au vol mais quoi, / Un rien, l’harmonie, le chant des astres, le cri / Des arbres la nuit quand le vent se tait, perdu.

Pour m’approcher de toi je vais si loin, si vite. / Habité par une voix, une mélodie. Frisson de / Notes, couleur. Je me repose enfin là, tu sais.

Photos : Statue, Cour carrée du Louvre, dessin, 27/12/18, 19h15 ; Statue, Jardin Villa Borghese, Rome, 23/08/18, 14:33 . Chapiteau de pilastre, IIe IIIe s., art romain, m. St-Raymond, Tlse, 03/08/18, 17:11, sonnet ©JJM

Création

Cheval de mer fougueux, puissance de la houle, / Sur le sable se couche, lisse le miroir de sel, où / Se reflète l’éclat du conquérant, cheval d’écume, / Le destin broie ceux qui renaissent, bouche nue,

Corps lumineux offerts au vent, le jour, la nuit. / Rien ne peut éteindre le feu des esprits nacrés. / Rien n’arrête la force de l’aventurier, du marin / Perdu dont l’errance est la création d’un monde.

Voyageurs des siècles, découvreurs de falaises, / De forêts enfouies, de grottes immémoriales, et / Seuls dieux mortels. Jamais le temps ne soumet

Leur sabots de galets, ni le tonnerre de leurs cris, / Lorsque, naufragés poursuivis par les hordes du / Mal, ils entonnent le chant des amours solaires.

Photos : Soleil nocturne, JJM 05 09 16 5h50 ; Statue de la Cour carrée du Louvre, 07 06 17 17h43 ; chapiteau de pilastre, IIIe Ive s., art romain, m. St-Raymond, Tlse, 03 08 18 17h11, sonnet, ©JJM

Le Cri

Magie de l’eau, dernier mot à la dérive, hésitant. / Lancé par qui, libéré du corps lourd, là, allongé / Parmi pierres et arbres glacés. Urgence du mot, / Premier, dernier, dont tu ne veux pas. Pourtant,

Il est la vie, sa vie sans toi n’est rien, et il chante / L’arrachement, le retour, la lumière et la tempête. / Il ne sait, appelle, implore. Oh, folie des hommes. /La beauté peine, trace un chemin, mot agonisant.

Soleil indifférent, la sève rejoint le profond, il se / Tait. Le mot suffoque, saute les vagues, accroche / Une branche nourrie, pluies à venir. Cri du corps.

Le printemps sera rouge sang, le rouge de la vie. / L’amour ne se noie jamais, et les enfants jouent. Oh, l’océan boit le fleuve. Marcher sur la neige.

Photos : Masque de théâtre, m. St Raymond, Tlse, 03/08/18, 17:10 ; Cariatide engainée XVIe s., m. des Augustins, Tlse, 03/06/18, 16:52 ; Canal de Brienne, Tlse, 14/03/21, 15:11, sonnet ©JJM