Douceur des nuages

Douceur des nuages gonflés de joie naïve,
au vent tourbillonnant des caprices du ciel.
Dans le tilleul en fleurs s’agite la pénombre.
Enivré, il attend la caresse de la nuit promise.

Une terrible secousse fait trembler les toits,
les arbres ploient sous la violence du choc.
Mais rien jamais n’atteint de l’enfant le désir
d’embellir la vie, ni même l’amour abandonné.

Il rêve. Te rappelles-tu les Afriques nocturnes,
les feux de latérite sous les grands flamboyants,
le brouhaha des marchés de brousse calcinée,
le tamtam des corps enluminés d’innocence,

les forêts transpercées de fleuves invisibles.
Jamais ne cesse, au fond des yeux éblouis,
l’efflorescence des masques immémoriaux,
ni la palpitation des seins sous les doigts.

Au bord des pistes, des falaises immenses,
dans le silence des rivières, des plateaux,
ou au bout des pontons rongés d’histoire,
devant une porte entrouverte, la patience

seule peut lutter contre l’incendie des forêts
que les troupeaux redoutent. À la fenêtre,
les nuages s’étirent en lames d’arc-en-ciel,
pour apaiser ses nuits et son corps à l’affût.

31 03 16. Épiphanies 51

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Le parfum des genêts

Martèlement de sabots, troupeau de chèvres
noires aux yeux jaunes, pupilles magiques.

Sur le chemin pierreux, un cri au loin, ténu,
porté par la poussière, trémulation du sol.

Au bout des doigts, dans tout le corps,
le souffle des bêtes, humide et rauque.

L’orage a blessé le ciel pupillaire, strié de
sang, bêtes poussées vers le profond ravin

qu’en un bond il franchit. À nouveau le cri,
étouffé. Une main chassant le drap, il se lève.

Les images s’amoncèlent autour de lui, nu.
Est-ce un cri de départ, la perte d’un visage.

La nuit est une caverne où résonne la vie,
sur ses parois s’étale l’agonie du printemps.

Fenêtre sur la pinède, les sabots piétinent,
harcèlent ses tempes, il voudrait appeler.

Le parfum sucré des genêts ivres d’abeilles
l’envahit, comme l’eau inonde un champ.

Alors, transpercé par le cri, dévalant la dune
jusqu’à la rive du fleuve, il rejoint le troupeau.

28 03 16. Épiphanies 50

La fenêtre a bougé

Ce matin la fenêtre a bougé, pas le tapis,
les meubles dormaient, bibelots, canapé,
lampe, fauteuils, enfin l’un des deux était,
n’était plus à la même place, ce n’est pas

une question de lieu. Figé sur le seuil, il
suit des traces de rêve au fond des yeux,
toujours le même, la fenêtre bouge, recule,
il traverse la pièce immense, le sol glisse.

Enfant sur un vélo, dévalant une pente, et
tout en bas, il n’atteint pas la fenêtre, une robe
claire, des arbres, pâleur d’un visage souriant.
Il tend les bras, soudain le tableau de Goya,

le trois mai mille huit cent huit, nuit noire,
un mur, des morts, des soldats fusils braqués
vers une silhouette blanche, face aux balles.
Il avance, tient la fenêtre, se crispe. À quoi

pense-t-il, crie-t-il, aime-t-il, cet homme,
bras levés au ciel, y a-t-il encore un ciel, et
sa dernière image, au moment où le monde
allait broyer son corps, son âme, ses rêves,

basculer, se fondre en lui, englouti comme lui.
Le vélo s’emballe, l’enfant ouvre grand les yeux.
Ce n’est plus un enfant, c’est lui. À la fenêtre,
les cyprès se penchent. Aux murs, les tableaux

se creusent, les arbres peints flottent dans l’air,
happés par la fenêtre, elle a bougé. Il comprend
que le monde a basculé au fond de son ventre.
Ce matin il a mangé le monde, seul son rêve

persiste, la robe s’envole vers les cyprès, alors
la fenêtre bouge. Il ouvre la bouche et parle,
les mots s’écrasent sur les murs, et sur le tapis
l’enfant joue aux billes, tu vois, ce n’était rien.

27 03 16. Épiphanies 49

Le tapis berbère

Au creux du ventre et
Dans les poumons brûlants,

Froissant le masque d’un oiseau,
Le dithyrambe des processions

Immémoriales traverse les forêts.
La nuit explose et fouille

Le grand sac de chair rituelle.
Les yeux roulent sur les mains,

Teintent du sang des montagnes
Les murs, les tableaux, les fauteuils,

Trouvent refuge dans les motifs
Du tapis berbère, où chante l’origine.

26 03 16. Épiphanies 48

Le hublot de la vie

Des mots la peste soit, même morts
ils persistent, anguilles dans le gouffre
de la nuit printanière, pleine lune,
à glisser, souples et luminescents,

à filer entre les os, les entrailles, les doigts,
mots vides, mots brûlés, cendres de mots,
paroles jetées au pied du volcan,
mots chantants, murmurés, caressés,

mots de l’enfance, mots de l’amour.
De la mort des mots, si beaux, la peste
soit, qu’ils vivent, ces purs diamants,
dans la tempête et la violence du ciel,

lune ou pas, dans la nuit des regards
éperdus, des silences étonnés, de la
tendresse inépuisable, des rires clairs.
Mots dansants, farandoles à l’horizon,

les mots tentaculaires grouillent, hélas,
au fond du seau, dans la mélasse à venir
d’une histoire inachevée, ils passent,
toujours joyeux et prometteurs,

innocents, devant le hublot de la vie,
tandis que le yeux cherchent les yeux,
que les mains se nouent en un ballet,
que les bouches s’ouvrent pour parler.

26 03 16. Épiphanies 47

Attendre le jour

Autour du lampadaire, aveuglés, tournent
moucherons et papillons, nuées survoltées,
dans la lumière mortelle, effrayante beauté.
Il titube de joie, le lourd soleil est englouti.

Les bateaux rentrent au port, marins fourbus.
On n’écoute pas les morts. Terrasses riantes,
chants et cris, les verres brillent, les regards
s’enflamment, les enfants lancent des flèches

de Sioux, ornées de plumes rouges et noires.
Au-dessus de la porte, l’ampoule se balance
dans le vent chaud d’un désert inaccessible.
Il respire le large piqueté d’îles profondes.

Il suffit de se mettre en chemin, le sais-tu.
D’une main, il chasse un papillon tombé
sur son cou. Dans la maison, des voix disent
la vie et la mort, l’amour, le départ, le retour,

mais aucun son ne lui parvient. Un silence de
gouffre l’enserre, dans le souffle des vagues
et le chuchotis des galets. Debout sur la jetée,
il scrute la nuit, les étoiles. Attendre le jour.

25 03 16. Épiphanies 46

Le clapotis

Terrasse de café près du port, tables rondes,
halos marbrés. Coude appuyé je rêve, le soleil
rougit. Me suis-je absenté, le regard au bord
d’un nuage irisé, et, surgi d’où, ton rire depuis

ne cesse de ricocher. Cercles chromés, entre
lesquels flottent les destins à jamais secrets.
Les mots se mêlent, en quête de rien, jaillis
des corps. Attente d’un souffle nocturne pur.

La rue scintille, frais souvenir d’une averse,
teinté de mille échos de l’entrelacs des vies.
Je me lève, rejoins la jetée. Là-bas, le phare
dans la lumière d’orage sec, et sur la place,

d’autres terrasses. Ton rire volète, papillon.
La nuit, un éclat peut tout contenir. Je ferme
les yeux, les rouvre. Est-ce moi, ma bouche,
est-ce du fond de ma gorge, de mes poumons,

de mon ventre. J’écoute. Bord du quai, bateaux
voiles roulées. Le rire s’éloigne, puis un appel
enfoui, d’un enfant, d’une femme, je ne sais.
Le chenal s’est tu, persiste un vague murmure.

Les bâtisses brillent, le ciel ondule. Assis sur
un cordage vert bleu, ma vue se trouble, corps
dissout dans le clapotis. Un léger vent de mer
berce la coque d’une barque sauvage. Partir.

24 03 16. Épiphanies 45

Les lucioles

Sauterelles bleues et petits papillons fuient
devant les sandales défaites. Une buse plane
dans le matin brumeux. Au loin, les cloches
d’un troupeau n’apaisent pas l’enfant chagrin.

Il jette des cailloux aux nuages, les doigts
mouillés de rosée, la langue humiliée par
le sang de la nuit, l’incessante pluie dedans,
poignées de boutons d’or au fond des yeux.

Son visage est collé au ciel et à la terre,
traversé de secousses enfouies. Le corps a
la mémoire des jouets cassés, et le hoquet
serre le ventre au rythme des filets de lave.

Lèvres et narines tremblent, il ne sait rien
de la tristesse du monde lointain, refusé,
de la tendresse évaporée dans les bras nus,
chagrin des torrents cachés sous les fleurs.

Au cœur des failles rocheuses, à-pics de feu,
sous les fougères et les orties indifférentes,
rires et pleurs, un refuge, chaud, aussi doux
que duvet d’oie sauvage, pour l’enfant projeté

dans le vide, la solitude, étonné de voir la nuit
clouée à sa fenêtre ouverte sur les montagnes,
le ciel parfait, laisser entrer le souffle de la vie,
si joyeux, quand les lucioles envahissent la forêt.

23 03 16. Épiphanies 44

Les algues rouges

Douce aridité crayeuse des galets polis
par le hasard des voyages, sable mêlé
de coques et de couteaux vides. Il crisse
sous le pied nu, tandis qu’au loin, derrière

les dunes coiffées d’oyats malmenés par
les vents, et de pins triturés par la sève,
la ville est éventrée par la folie, les cris,
la haine et l’horreur, à terre est le sang.

Les visages de tragédie antique brûlent.
La grande marée dépose, sur le littoral
millénaire, des lambeaux d’algues rouges
piquées de fissurelles, les sirènes hurlent.

Oreilles de Saint Pierre, éclats de mâts et
de cageots, bouts de cordages dilacérés,
mêlés aux corps meurtris, déchiquetés,
gorgés de souvenirs et du sel de la vie.

Échos de violence au milieu des rochers,
tandis que l’océan abrite l’avenir. Il lève
les yeux, mouettes et goélands pétrifiés,
et à l’horizon, un cargo d’âmes errantes.

22 03 16. Épiphanies 43

Le tiroir

Dans le tiroir, sous le lit, je ne sais plus,
j’ai dû laisser tomber quelque chose.
J’ai bien entendu rouler, non, griffer l’air,
un petit cri de rien, derrière la guitare.

Rideau tiré, la fenêtre bat le garde-corps,
rouillé. Non, c’est moi. J’ai dû tomber,
mais c’était hier soir, voilà, j’ai ouvert,
main déployée, l’air caressait la peau.

Le sol brillait de pluie, lumières plantées
dans le ciel noir. Au coin de la rue, j’ai vu
un rire, des lèvres autour, un doux visage,
mais je ne sais pas où chercher, si beau.

Je ne connais pas d’ailleurs autre qu’ici,
les voitures, les flaques, et ce matin rien.
Où ai-je bien pu perdre ce quoi, tu sais,
ce parfum, à pleurer, présence évaporée.

Le jour naissait, une fleur. Un brin d’herbe
sur l’œil m’empêche de voir le bleu, alors
il faut bien que je cherche encore. Je saurai
quoi, à force, entêté. Je n’ai pas tout sorti

du tiroir, il est tellement plein. Tout jeter,
allez hop, par terre, oh, j’ai trouvé un rire.
Sortir, j’y verrai plus clair, poches pleines,
en vrac, je ramasse les musées, la plage,

les gares, les cafés, les hôtels, les lits,
vite, les belles rues, si je savais au moins
ce que c’était. J’ai bien entendu rouler,
un petit cri de joie, dans le tiroir vide.

22 03 16. Épiphanies 42