Corps des Mots

Toi moi collés aux mots, qu’importe si / Je tu morcelés brillent seuls nos regards. / Lumière vacille avalée par nos bouches, / Bouches collées aux mots légers fluides.

Ils flottent en eau claire, dans la lumière / De la chambre, ou non prononcés, mais / Pensés en vol brûlés. Vivre la migration / Des mots, lointains, à venir. Oui, jamais

Les mots n’en ont fini, car ils sont la vie, / La peur, la joie, la confiance, l’abandon, / La terreur, l’enthousiasme corps enlacés.

Corps enfouis, noués. Les mots, la peau, / Frisson de l’inconnu, vol des oiseaux et / Les yeux ouverts, face à la longue route.

Photo : Histoire de l’eau, fontaine murale, Henri Cros, 1894, m. d’Orsay, sonnet 66 ©JJM

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Si loin

Voir, énigme de l’errance, effleurement. / Toucher des yeux, attendre, n’être alors / Que personnage esquissé dans le carnet. / Viser l’intériorité où frissonne le temps.

Reflet sans tain, atelier, prendre la pose. / Si l’eau murmure, voir, ne plus attendre. / En silence près des arbres, les blessures / De l’écorce chuchotent, trembler de joie.

Sur les pavés glisser, être centre du rien, / Soir évaporé, il arrive que tout soit beau. / Parfum de grandeur et puissante fragilité.

Absent ici là. S’effacer et prêt à toucher, / Si loin, adieu. Lumière, ne pas renoncer. / Devant ton visage, une étonnante clarté.

Photo : Tête de femme, Germaine Richier, 1930, m. d’Art Moderne, Paris, 21/07/20, 11:50, sonnet ©JJM

L’Agave

De sable le silence, de sable emplit / Le ciel, de sable blanc patelle avide, / Bouche et paupières serrées la nuit. / Sombre coque étouffée roche noyée.

Les poissons filent, tourbillons d’or, / Sable de profonds volcans, flammes / D’alevins frangées d’algues brûlées. / Nuages de nacre, la tempête gronde

Sous les joyeuses vagues, côte ivre / De soleil bondissant, un frais soleil / Dans les aiguilles des pins, le chant

Des oiseaux. Quand l’agave fleurit, / Tu sais, l’amour sous les galets est / Menacé par le ressac, elle le sauve.

Photo : Fleur d’agave, San Carlos de la Rápita, España, 20/08/17, 16:19, sonnet 64 ©JJM

Le Tage

Nous irons à Tolède, le Tage l’ignore, / Lisbonne est son destin. Rue, trottoir, / Bruit de clef dans la serrure. Meubles, / Guitare, livres me voient rentrer vivre.

Ces paroles sont un viatique éclairant / L’opacité de mon trouble. Oh ciel pâle, / Noirs effluves du Canal, fleuve muet. / Tour de Belém, l’Atlantique et le vent.

Imaginaire torturé. Du Greco les corps / Étirés, désirs, élévation, extase. Amers / Méandres en moi et l’épaisse obscurité

Des gorges, où les choucas dilacèrent / La brume, et l’océan rêve des remous / Du Tage. Ma boussole, fleuve et mots.

Café A Brasileira, Lisbonne, 28/02/06, 15:32, sonnet 63 wip ©JJM

Guêpes et Papillons

Au pied du mur, figues écrasées au soleil. / Ivres, des guêpes tètent un reste de pulpe / Sang, velours du théâtre intime. Vide au / Cœur de l’absence et de ruines délavées.

Braise des corps, visage blême, ébauche / De sourire sur le fleuve. Arbre guetteur, / La rue fomente un crime, une voix aigüe / Lance des mots secs aux briques, au ciel.

Des papillons coiffent le lampadaire. Air / D’opéra, tout près, Casta diva, ai-je rêvé. / Tu marches dans la rue et tout s’accélère.

Esprit englué dans une photo, train à quai. / Il s’éloigne, je me lève. Beau voyage, oui. / Oh, je n’aime que ce qui remue l’univers.

Photo : Rue des Trois Banquets, Toulouse, 07/12/15, 18:44, sonnet JJM

L’Aria

Entre les platanes, une flaque de soleil. / Un moineau se baigne fuit dans un trou / De brique. Volettent flaque et nuage. Je / Ne vois rien, passé le seuil la clé tombe.

En tête crépite l’écume sur le sable gris, / Arrondis de dentelle et jetée frangée de / Mouettes. Mon regard s’enfonce, dédale / D’une journée, plage et vent, les voiliers

Vont, viennent. Des fanions rouge sang, / Fête annoncée, virevoltent en tout sens. / Cri d’enfant, tu te retournes, d’un geste

Éloignes les nuages. Fenêtre incendiée, / Le soir gagne les tuiles, et la pénombre / Du couloir brille de cristaux d’une aria.

Photo : Kerassel, Morbihan, 19/08/20, 17:27, sonnet wip ©JJM

Le Creuset

Marbre rosiers, dansez acacias tilleuls, / Grâce à l’autan furieux. Embrun fleuri, / Harpon piqué dans la fontaine hirsute. / Peindre cela, et non de tripes le tracas.

Du corps pinceau la création du monde. / La main trace la vie sous l’ombre pure, / Reflet d’échos, remous cellulaires dans / Le creuset bouillant, les images fusent.

Attente, mort, long voyage sur l’océan, / Muscle salé par le vent. Rêve, baleine, / Côte lointaine approchée de nuit, aime

Le chant du village, brûle, dieu antique. / Un oiseau suffit à faire tourner la Terre. / L’œil attrape au vol regards et caresses.

Photo : La Marle, Séné, Morbihan, 21/08/20, 18:27, sonnet wip ©JJM

L’Énigme

Orage, le figuier tremble, les tempes battent. / La fenêtre, un Turner de brocante et la mer, / Si loin. Pour la dernière fois, le soleil a lui. / Faut-il renoncer, aux paroles et aux gestes.

De la pluie la douceur, du levant la lumière. / Oh nuits, étonnement des mains, apaiser le / Chagrin. Où, la tendresse enfantine, la joie. / Refuser la violence, sur la falaise le ressac.

Incendie des forêts de tamtams, ciel noirci. / Abandon des oiseaux. Corps broyé bouche / Collée, colère des entrailles, âme non, lutter.

L’ombre un refuge, le silence un rêve, et ne / Rien oublier ni croire, libre de tout pardon, / Dans le vide de la création, l’énigme à venir.

Photo : Inconnu, Tanger, dernières décennies du Ier s. Ap. J.-C., arbre, Louvre, Paris, 20/07/20, 11:54, sonnet ©JJM

Le Jardin

Ouvrir, qu’y a-t-il. Accueillir, est-ce moi. / Ce volet le matin. Rien n’y fait, tristesse / Ni rage, soleil voilé. Je suis éveillé pour / Jouer, levé, soudain, la forêt de tes yeux.

Essayer, embrasser je refuse, marcher ne / Veux plus. Jardin oui, statue, moi. Aimer / Le marbre, les rosiers, boire le ciel, rêver. / Un pigeon posé, l’enfant jette un caillou.

Sur un banc, je lis, l’écureuil m’observe, / Je parle, bouche sèche, mots sur l’herbe. / Joie des iris, dans la poussière d’un vélo.

Soudain la nuit. Pâle fontaine, les arbres / Inquiets. Les pages du livre, des miroirs, / Vois-tu. Fin du jour, par l’ombre caressé.

Photo : Grand-Rond, 26/12/20 ,15:00, sonnet wip ©JJM

Brumes

Reflet d’une vitre, passe l’écho d’un drame, / L’épave d’une buée d’espoir. Souffle coupé, / J’ouvre grand la fenêtre, tente de dire, quoi. / Touffeur, brumes d’été. Pluie aveugle, fond

De marais, lambeau de clarté percé d’yeux. / Visage, oh, retourné dans un disque de lune. / Rivière d’argent, le ciel est criblé de songes. / De tout côté, je suis cerné, de miroirs flous.

L’essaim des désirs, électrique. Le temps se / Désagrège, la nuit s’écoule à travers champs. / Voix blanche d’éclairs, chaleur, elle incendie

Le chant des insectes mordant la vie. Il faut / Aimer l’entrelacs des herbes, trouver racines / Dans le labyrinthe d’une immémoriale plaie.

Photo : musée de la Reina Sofia, Madrid, 12/08/19, 16:13, sonnet ©JJM