Pêcheur de sens

Joie de partager l’article de Lionel-Édouard Martin sur L’herbe folle. D’une grande finesse et, pour moi, très émouvant.

Qu’il en soit grandement remercié.

Titre : Pêcheur de sens (à propos de L’Herbe folle, de Jean-Jacques Marimbert, aux éditions du Cygne) :

Photo : Cassis, Le cap Canaille, détail, 1966, Jean Cantaloup ©JJM

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Déchirure

Bribes, ébauches. Trop-plein d’émotions / Noir ni triste sourd, goutte dans la gorge. / Paillettes de joie au fond, un texte suinte / Inachevé, mots d’un collier au fil cassé.

Scribe de ma nuit indique-moi une voie. / Main levée. Je cours, un éclat de beauté / Luit, un sourire me submerge lumineux. / Oh, musique, pâles mots lancés au vent.

Fleuris, prairie, sur les rêves d’enfance. / Parfum, mains rouges, soleil de savane. / Forêt de cheveux soudain visage enfoui.

La sérénité, je ne peux, étant réduit à ne / Rien confier, à me taire flottant, paraître / Flou. Je guette une déchirure. M’évader.

Photo : Restes d’un buste vêtu à la romaine, 1545, fragment de lucarne du château de Bournazel, m. des Augustins, Toulouse, 22/07/18, 16:57, sonnet 128 ©JJM

Les Flammes

La colère sous un voile et beauté / Sera plus vive ornée de flammes. / Pris à la gorge, oui, à m’étouffer. / Sur les larmes des statues la mer. 

Je frapperai la terre en dansant, / Brûlerai joie, sang, vivrai caché, / Au cœur de la foule hors de moi. / Entouré d’arbres je dirai les yeux

Clos des mots doux, succomberai / Au parfum d’espoir, naïf jusqu’au / Bout. Ébloui, je goûterai du matin

La fraîcheur, des temples antiques / Le silence, la courbe de ton corps, / Naîtrai du marbre au point du jour.

Photo : Tableau de la cathédrale Saint-Étienne, détail, 05/06/21, 16:30, sonnet 127 wip ©JJM

Le Halo

Oh qu’as-tu vu, ai-je laissé échapper / Ne sais quoi, ouï de ma voix, océan, / Miel. J’ai tressailli, regards d’enfant, / Effondrement le sol se dérobe, je les

Croyais perdus, qu’as-tu fait. Lumière / Joie, inépuisable douceur, la nuit seule / Préserve de l’incendie et de l’abandon. / Reste le halo, souffle d’un être fugace.

Une vague rejetée par la falaise revient / Revient encore, infatigable. Nuit d’été, / Et sur le sable, les rumeurs d’une ville.

Combat d’amour de l’eau, de la pierre. / L’image s’efface. Disparaître et hanter / L’âme, anémone aspirée par le ressac.

Photo : Tableau de la cathédrale Saint-Étienne, détail, 05/06/21, 16:27, sonnet 126 wip ©JJM

Les Vagues

Entends-tu les vagues je parle de vagues, / De force et de beauté des vagues, de leur / Fragilité. Défaite et victoire sur le temps, / La pierre, le soleil. Caresse lunaire, elles

La laissent faire, battent, lèchent la côte,  / Selon la brise, l’éclat des astres, les cris / Des dieux, les chants : le chagrin teinte / De secrète colère et le rire fait exploser.

Contemple-les, elles fascinent, elles feu / De l’océan, enflamment le vent, la barre / Déchiquetée par l’eau, le sel, et l’écume

Rêve. La houle berce l’âme et le corps, / Les pensées dérivent, grand large, île. / Le mouvement des vagues, amour, vie.

Photo : San Carlos de la Rápita, España, 21/08/17, 19:07, sonnet 125 wip ©JJM

Le Mystère

La musique fuit la forêt, exil d’oiseaux. / Frisson des branches dans le vent froid. / La joie au cœur des mots, sous la peau. / Épaisseur des cris, cosmos muet, muré.

Émotion nue, sous la splendeur du ciel. / Vivre sentir profiter du moindre souffle. / Lever les yeux affronter une histoire oh / Souviens-toi des laminaires sur le sable.

Coquillages de la houle lames d’écume / Tranchant dans le vif. Marcher au bord / Du mystère, rire de mouettes affamées.

A la fenêtre sèche l’espoir du couchant. / Ailleurs est là et le froid pique les yeux. / Défiant l’horizon un cargo vert pomme.

Photo : Venise, 20/02/07, 16:58, sonnet 124 wip ©JJM

Ivresse

Nuit, ouvre tes bras, ton cœur. Sous / Tes paupières de bois, ombre secrète / Des lampes des livres qui le jour ont / Espéré danser, mourir dans ton éclat.

Respirer ton parfum, ouvrir, écouter. / Être écorché, valser avec les statues, / Beauté de marbre. Autour, arbres et / Lianes, nuages et torrents emmêlés,

Roches et lacs, l’ivresse du bonheur. / Les mots doux rejoignent sous terre / La source des regards et des mains,

De la joie, des rires. Oh, tes statues / Brisent les chaînes, puissant Dédale, / Et courent sur le sable, soleil levant.

Photo : Ciel à la fenêtre, 21/06/21, 22:00, sonnet 123 wip ©JJM

L’Offrande

Prendre appui voler, regard d’amour. / Pattes ailes tendues, au loin, où n’est / Pas ce qui va naître et voir le jour, la / Nuit, mais l’appui fissuré, les ongles

Cassés, rien ne tient. Et le regard, où / Est-il, enfui. Fini je ne vois plus rien. / M’appuyer, mais il n’y a que remous. / Douceur force des pierres, densité du

Granit. L’œil ne perce pas le marbre. / Pierres amassées, empilées, soudées. / Mains peau blessées, en vain résister.

Le corps est une offrande ; l’issue au / Fond des yeux. Voûtes, escaliers sont / Dedans. Chaque pas, la vie est appui.

Photo : Porteuse d’offrandes, Uttar Pradesh, région de Mathurā, Époque kusanā, milieu du IIe s., grès rouge, m. Guimet, Paris, 23/07/20, 11:12, sonnet 122 wip ©JJM

La Dune

Monter la haute dune de Merzouga, / Sable chaud du jour, jasmin, fleurs / D’orangers. Ombre des dattiers du / Jardin peigné sur ton épaule fraîche.

Nuit venue s’asseoir, goûter le vent. / Désert du ciel et tourbillon d’étoiles. / Oh qui ne l’a vu ne sait, par milliers. / Sol grêlé d’éclats noirs, lave céleste.

La Terre. Suivre le fleuve évaporé et / Les montagnes mauves, loin la côte,  / L’océan, l’eau si claire, nager voler.

Ici, beauté des cyprès, des nuages, / Dedans, la joie des mains aimantes. / Accoudé au garde-corps, le bel été.

Photo : Sirène se coiffant, bas-relief, chapiteau provenant du monastère Notre-Dame de la Daurade, 1151-1200, m. des Augustins, Toulouse, 03/02/19, 15:49, sonnet 121 wip ©JJM

Flore

Distance ténue, ici là, dedans jamais / Ne disparaît, impossible adéquation. / L’œil et la fleur, illusion des reflets, / La pupille sombre en un puits infini.

Ailleurs l’œil jette dans le feu coloré / Paysages, rues, jardins par la fenêtre. / Se jouent drames, naissances, amour / Ou clairs matins, transparence rayée.

Ou est-ce moi hors des choses entêté, / Mouche et le monde à portée d’ailes. / Je tremble, cherche le repos un appui.

Les regards se fondent, pénombre des / Forêts, vagues d’inquiétude et de joie, / Le mystère d’autres yeux, émerveillés.

Photo : Flore, 1706-1709, René Frémin, m. d’Orsay, 20/07/20, 14:20, sonnet 120 wip ©JJM