Touroum Bouroum 1 et 2

Pour annoncer la sortie du numéro 2 de la revue Touroum Bouroum, dirigée par Jos Roy et Lucien Etxezaharreta, vendredi 19 juillet lors d’une présentation-lecture festive au Musée basque de Bayonne, voici le billet de Jean-Roger Geyer du 20 mai 2018 sur le numéro 1…, billet que je découvre à l’instant, mieux vaut tard que jamais. Merci à lui et… vivement le numéro 2 (où j’ai la joie d’avoir un texte) !

« D’une humeur à l’autre », Le billet de Jean-Roger Geyer : 20 mai 2018

Ce qu’on peut dire du premier numéro de Touroum Bouroum :

C’est en soi un événement, la parution du premier numéro d’une revue poétique, comme s’interroge dans son éditorial Jos Roy qui la dirige. Une revue littéraire franco-basque, avec une belle alternance ; d’une langue à l’autre. D’abord son allure, sa conception bien sentie, d’un vent nouveau, avec un paysage d’Ugarte en jaquette qui l’inaugure et, parfois, entre les pages ; des gravures de Doré. Et puis son titre, Touroum Bouroum, qui serait le grondement d’une cascade. Le moins qu’on puisse dire c’est, qu’en effet, Touroum Bouroum bouscule des eaux entre des roches, comme dans le frontispice de Doré. 

Et puis, je la feuillette pour voir ce qu’il y a dedans, moi qui suis un lyrique de longue date, héritier d’un certain A. Guerne, le grand traducteur des romantiques allemands. Je feuillette d’abord sans trop y croire et je découvre. Et aussitôt, je me sens de plain-pied. D’abord avec le poème fleuve de Jean-Jacques Marimbert.

Je dis fleuve parce qu’il prend source au début d’un chemin, à flancs de montagne, en suivant d’interminables sentiers. De plain-pied, avec une écriture qui va du simple au profond, de l’anecdotique à la réflexion ; où on sent l’abîme. Du descriptif méticuleux à une émotion cachée. Il s’agit là, d’une respiration et d’un grand souffle. 

J’enjambe les pages basques, sûrement de bonne encre, n’étant que francophone et je reviens à Ugarte,

(j’ai vu récemment ses fusains de maître à la crypte Ste Eugénie) je m’attarde un moment à la prose de Jos Roy dont je ressens l’intensité et la belle teneur, dans une juste simplicité, qui sert si bien Urgate. Et, au passage, je goûte l’Aquero de Marie cosnay. 

Et puis, je ne sais pourquoi, je reviens au début, aux collages de Marisa Guttierrez Cabriada que j’apprécie pour ce qu’ils sont, surréalisant, aux tons mats, parfois aux couleurs fauves avec en pastilles, Kafka, Proust ou Frédérico. 

Et puis je repars, presque d’où je venais, après Gabriel Oukoundji le congolais, que j’ai croisé parfois dans les rues de Bordeaux, au lyrisme marbré et intemporel. Allant plus loin vers : C’est ainsi que commence, le poème de Jos Roy à la fois épars et tempéré et qui ose jusque là où on ne l’imagine pas, avec par endroit, des éclats qui jouent sur eux-même, des timbres qui voisinent, et une sensibilité à fleur de mots. Et je reviens un peu avant, cette fois à Lucien (là je prends mon élan pour orthographier d’une façon correcte) Etxezaharreta. Je lui emboîte le pas dans son voyage aux Pyrénées, qu’il semble connaître comme lui même, avec ce regard qu’on a sur ce qu’on aime et ce qu’on sait en dire « …. des danses circulaires comme des cromlechs vivants et ensoleillés ». 

C’est ce qu’offre, cascadant, d’une page à l’autre, ce premier numéro de Touroum Bouroum.

(cf sur le blog : https://aujourlanuitjjm.wordpress.com/2018/12/05/touroum-bouroum/)

Cueille ta chance

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Au plafond, carnaval, diamants de l’existence.

Pénombre bleue, parfum de fête, oui, danser.

Le corps emporte tout, ivresse du jazz, pensée

Défaille. Laisse-le faire, aime, cueille ta chance.

 

Tête de cire (Wicar), Anonyme, Italie, XVIIe s. (mine de plomb, détail) ©JJM

Les îles perdues

Le ciel ne s’ennuie pas, la nuit. Sous leur couette de nuages, les étoiles à coup sûr batifolent. L’image bébête me vient, tournant et retournant dans le lit, pour éviter le pire. Certaines heures, mieux lunées, semblent paniers tressés pleins d’eau. D’où provient l’eau, mystère. D’une montagne, d’une rivière, d’un petit lac dans la roche creusé ou en bordure de pinède, d’une vague fendue par le Pequod.

Panier bariolé d’une île lointaine. J’aime les îles perdues, d’où plus rien n’arrive hors signes énigmatiques, abîmes de sens et chants d’amour. J’en ai pour des nuits à explorer les criques, les forêts, les villages, faisant naître un panorama infini, jusqu’au matin.

Ainsi naissent torrents, fleuves et océans, sous des ciels changeants. Alors, tu sais, sur la plage piquetée de mouettes, je marche, insouciant, au hasard des algues rouges coiffées d’écume, des coquillages, des rochers et des fleurs de sable sous les oyats, sifflotant au soleil.

©JJM

Labyrinthe

De la nuit, labyrinthe sans tracé ni parois, fête foraine où les manèges penchent, massacre sur la boule d’une Irma peinturlurée, à peine ouverts les yeux, au cœur d’une foule compacte et bruyante, les ballons éclatent, les rires fusent, les cris en rafales tracent plein ciel le grand-huit des jours en allés, à venir. Labyrinthe pur, de l’inquiétude l’avatar, où se voit, cloné, le même personnage.

Ridicule, nu, étonné, et perdu. Invisible moi, égo vide, sourire en coin et main tendue, il avance. Cow-boy de pacotille, faux Quichotte héberlué, smoking blanc dans la jungle, gangster trahi, hameçonné par l’horizon ou rêveur solitaire, Italien au volant d’un bidon, vendeur d’eau, berger d’étiques chèvres, comique troupier, amoureux éperdu. Spectres vite dissouts. Bandonéon en larmes, piano au fond de l’eau. Frêle flûte. La chambre résonne de mélodies serpentines.

Rejetant le drap, sur ma peau le souffle de la rue. Me levant, orchestre dans le jardin. Tes cheveux, nous dansons. Ciel de guirlandes, vent du sud. Oui, nous irons à Cordoue, où chantent les fontaines.

© JJM

Un Voile de Néroli

D’une nuit me reviennent la lumière finissante d’un port, l’odeur de sardines écrasées par les pneus d’une carriole, dans une nuée de mouches, des chiens flairant le sol jonché d’arêtes, d’écailles. Brouhaha de la foule, marchands de fèves, de pépites, cris du porteur d’eau, de citronade. Et la fumée des brochettes sur la terre cuite des kanouns, des piles d’assiettes fleuries, de kesras.

Tu marchais vers les terrasses bondées, longues tables tachées d’huile et de sucre, verres de café, de thé. Tout cela, et quoi d’autre. Ciel au badigeon rouge orangé, tes cheveux noirs, course d’enfants entre les bancs, et l’océan. Bateaux teuf-teuf, filets verts, bleus, étalés, enroulés, empilés. Ou bien l’ai-je inventée, cette nuit. La nuit je pars si loin, respire à pleins poumons l’air du large. Les embruns volent dans la chambre.

Assis sur un baulard, j’écoute, bois un vin fort, tu ris. Je sais, lieux communs, pâle exotisme, qu’importe. Des mots. Une radio à l’épaule crachote une complainte sur fond de oud. Cageots de sardines saupoudrés de glace. Je voudrais me perdre, ne reconnais pas la ville, elle s’efface. J’ai dû m’assoupir, le livre bâille. Persiste un voile de néroli. Pas sûr, il y a si longtemps. Les oranges ont séché, ou bien est-ce une nuit à venir.

©JJM