La grande maison

Une grande maison reste à construire, où se croisent
morts et vivants, droits, imperturbables et profonds.
Le mort que chacun porte, sans jamais se reconnaître.
Les yeux dans le vague, rivés à une ligne de brume.

Dans les couloirs d’un hôtel de quartier, murs tapissés
de portraits d’inconnus. Les morts n’ont que faire de
ces enfantillages. Ils sont le rêve de paysages enfouis,
de visages délaissés. Ils reviennent sur leurs pas et

fixent la beauté dans les yeux. Ils parlent enfin, oui.
Je t’avais vu, je t’ai attendue. Mais le tram, la foule,
la sonnette d’un vélo. J’ai tourné la tête, j’ai rebroussé
chemin. Ou la rue était déserte. Les morts reprennent

des bouts de fil, n’arrêtent pas de lier des lambeaux.
Ils ramassent ce qui est à terre, se moquent de savoir
si celui-ci s’accorde avec celui-là, harmonie cachée.
Le destin est fait de chutes ensanglantées, perdues.

Puis ils laissent le fil bariolé dans le vent ou en mer.
Il y en aura bien une ou un, pour attraper le pompon
du manège, lever les bras au ciel, victoire, c’est moi.
Mais les vivants, aveuglés par le sable, touchent çà

et là des mains, caressent des peaux, devinent dans
les regards des portes ouvertes. Une boule de feu
tombe au creux des entrailles. Les langues sèchent,
bouches entrouvertes de désir tu. Les mots tombent

sur le carrelage du café ou le parquet du salon chic.
Trop tard, champagne à terre, piano muet, c’est fini.
Merci, merci, c’était si fort, dit le visage souvenir.
Tu peux écoper, l’eau est entrée, rien n’arrête l’eau.

Ni la pierre, ni le feu, ni l’amour. Au bord d’une allée,
est-ce cela, qui teinte le regard des statues, si belles.
Ni renoncement, ni pessimisme, mais une lassitude
pétrie d’espoir, ou l’affrontement d’un temps révolu,

d’un lendemain voilé. Le temps, ni passé, ni à venir.
Seul compte le rythme de tes pas, quand, soucieux de
savoir si mon être peut sauter dans le vide, je t’imagine
danser, dans les couloirs d’une grande maison, tu sais.

23 04 16. Épiphanies 73

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