Nous marchons sur des villes enfouies, les écrasons, inconscients. La vie se déroule sur une croûte de cent mètres de terre, et nous faisons des trous. Nous cherchons, quelque chose ou rien, et ne pouvons masquer les tranchées. Elles ravinent les visages, rayent les regards. Galeries, tunnels borgnes, puits à sec, catacombes. Acharnés, nous frappons, avec pelles et pioches, et voudrions reboucher. Impudence. La couleur change, un bout dépasse. Vite aplanir, raser, gommer, enfoncer, cacher. Mais quoi. Ventre, bras, sexe, tête. Raté. Les plantes s’activent, explosent, vivent du sol en vain remué.
Nous marchons, et des villes grouillent dans l’univers secret des minéraux. Pierres, éclats de verre, coquilles, fossiles, malaxés par les lombrics, ombilics égarés. Leurres, amours, espoirs. Notre vanité, nos œuvres aussi. Nous tassons, oublions, croyant que les mausolées sont éternels. Il suffit de bêcher, pour voir des squelettes de vie. La peur retient la main. Au fond des yeux, la joie, l’amour, l’avenir, la droiture. Qu’attendons-nous. Dans l’air délié, nous pourrions voler. Le sol se dérobe. Vite un rocher, les racines d’un banian, une forêt touffue. Agrippés aux lianes, chantons, plantés dans la boue, visage lancé au ciel à se rompre le cou.
Mais tout est là, en nous. Beauté des lieux, des corps, des fleurs et des papillons, des lèvres, des mains. Les visages scrutent, aiment, attendent, appellent. Que de voyages. Nos hymnes, mêlés au vent, au bruit des vagues, aux craquements de la forêt primaire et de la glace, nous viennent d’en bas, traversent la chair, colorent la peau. Ce parfum, ce goût, nous les jetons aux oiseaux, aux cimes des arbres. Nous couvrons nos têtes de terre fraîche, pure. Dansons, arrêtons de marcher au hasard, ne gâchons rien, pas un sourire, pas un caillou. Le silence, pire que le vide, engloutit le rien. L’être est un air fredonné dans le noir.
texte et dessin ©JJM