Un banian plonge ses racines tentaculaires jusqu’au tréfonds de la nuit, où nul ne va. Ses lianes servent de balançoires aux rêves. Le vent donne aux pins la chevelure des fous. Au large, le mer lutte contre un ciel d’éclairs. Une lueur fade esquisse des toits, des façades de papier de riz où ruisselle une pluie enfantine. Le silence est total, ni tonnerre, ni craquement de branches malmenées par la bourrasque. Il ne pleut plus. Je marche sur la route côtière, rejoins la ville semée de lampadaires falots. Les palmiers résistent, refusent de tomber.
Le château dresse ses remparts contre le vide. Ses flancs sont battus par des vagues aveugles. Ni choc de bateaux au mouillage dans le port, ni cliquetis de cordages, de poulies sur les mâts. Je me tiens à nouveau sur la terrasse rouge. Mon esprit vole à l’autre bout de la forêt, et guette le moindre signe d’apaisement. L’énorme nuage traversé de lumière antique s’éloigne, découvrant une plage infinie. L’eau malicieuse touche à peine les rochers. L’aurore force le lointain à tendre un fil auquel mes yeux s’accrochent. Qu’y a-t-il de si important à vivre, pour que l’horizon seul serve de rail au néant.
L’air est frais. Les grands pins lancent quelques oiseaux. Merles et moineaux s’ébrouent dans un air saturé de mort vaincue. La terre, noircie par l’averse, nourrit les agaves. Ce banian, je l’ai bien vu. Je m’y agrippais pour percer la noirceur du ciel. Hune de ma profondeur, branches agitées par le vent. Sous ma peau, la douceur suivait le balancement des lianes, leur frisson, contredisant le chaos dont j’étais le théâtre. Était-ce mon corps, était-ce moi, je ne sais. Un séisme a fait trembler la mer, les rochers. La douceur jamais ne vacille.
texte et dessin ©JJM