Les oyats

Tout a basculé, la rue n’était plus la rue, la porte ne
s’ouvrait pas, de quel côté, y a-t-il un côté, soudain
tout a je ne sais, pas d’autre côté, vent d’épouvante.
Est-ce l’esprit de la forêt, des vivants, ou des morts.

Parler parler, prends ton temps, le temps, le souffle
est continu, nu, arrête. Est-ce en toi toi qui n’es, oh,
ou si peu. Tu sais. Alors je plonge, nulle part, voilà.
L’arrière-monde, cette invention de ma névrose, où

flottent des silhouettes de rêve, oui non, cachées par
les oyats oh les oyats, les reconnais-tu, soleil parfait,
je ne rêve pas ne rêve plus, cachées, j’aime les oyats.

Des êtres, nous, libérés de tout, nous, ils chantent et
le sable brille. Quel vent. L’océan titube, ivre, infini.
Il faut danser, sans retour, sinon l’esprit, la rue, tout.

16 02 17

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Parfum de liberté

Parfois, il fait si froid. Ou, comme cette nuit, tout
brûle, drap, oreiller. Je cours dans tous les sens,
mon corps immobile est traversé de mille flèches.
Alors je ris, l’image de San Sebastian, extase, oh.

Je pleure de rire, de froid, de colère, abandonné à
je ne sais quel destin tordu. Rire jaune, noir, enfin
froid dedans et rire dehors. Je vois passer dans le
torrent, image falote, les débris de joie et d’espoir

teintés de nos rires vains, et la falaise du jour, et la
faille enneigée de la passion en cendres. Et puis je
grelotte, morigène ce moi de pacotille. Pleine nuit
constellée d’étoiles de sang, pour rien. J’en oublie

les fraîches cascades de l’avenir qui engloutissent
les restes d’une confiance bafouée. Pleurer de joie.
Ouvrir la fenêtre, soulever le ciel, affronter l’hiver.
La nuit, s’il fait trop froid, si tout brûle, filer, rêver.

D’Afrique, de méandres arborés. Un fleuve au cœur
du bush. Je m’arrête, écoute, quel parfum de liberté.
Accoudé au balcon de l’origine, je suis la migration
des gnous, l’envol des flamands, des hippopotames

le bain. Sous la tente, le râle d’un fauve nonchalant
me ramène à mon corps transi, au drap en flamme,
J’ouvre la fenêtre, il fait si froid. Je rembobine ma
vie, encore plein de la douceur de tes bras de sable.

11 02 17

L’origine

Dans l’arrière-salle de tes rêves se cache l’origine, ni
commencement ni fin, l’éclat au fond du puits. Ferme
les yeux, tout est dedans. Dehors est dedans, la vie et
la mort à chaque main, centre du rien, là, sur le sable.

Fait brut, accepte-le. Alors, admire. Sur la toile, porte
un regard doux, perçant. Dans les tableaux de maître,
tu vois l’étonnement et la peur, la joie, l’espoir surgir
hors tout, ni là, ni ailleurs. Des personnages lointains,

sur une plage, bateaux au port, un café, des guirlandes,
une femme, la foule, un enfant fait tourner sa roue. Ce
regard étrange tire à lui le paysage, l’océan et la tablée

de marins et le lit défait. Oh, point aveugle du monde.
La beauté s’y réfugie, elle est dedans. Ne cherche pas,
elle est là. Tire les rideaux, laisse entrer le soleil. Aime.

10 02 17

Ne garde pas secret…

Ne garde pas secret ce qui t’engloutit. Un chemin,
sur la falaise, aura vite fait d’éparpiller en couleurs
printanières les équevilles de ta nuit. Ouvre ce que
l’enfant enfouit sous l’oreiller humide. Parle enfin,

soigne sa brûlure. Le vent n’assèche pas l’amour du
Détroit, la tempête renonce devant le phare, la baie
de Tanger est un écrin de joie, de lumière, d’espoir.
Tu ne risques rien, Gibraltar à bout de bras, le ferry

joue avec les dauphins, la mer scintille et le trottoir
mène au port. Tu vas rêver, tu vas tout ouvrir, cœur
à vif, qu’attends-tu, attendre fait venir la mort, alors

accueille la pluie, le soleil, le rire des mouettes, oh.
Laisse vivre en toi cet élan, sans but, ni terme, pure
joie du visage aimé, oui, sous la caresse d’un regard.

08 02 17

Oh, Senghor…

Oh, Senghor, puissions-nous préserver la « nudité
limpide des prétemps », la souplesse des pêcheurs
sur la plage, vivre l’incendie de nos amours, « feux
de brousse la nuit ». Non, dans le poto-poto de ma

vie, je patauge. Chaude n’est la pluie, ni les cyprès,
flamboyants. Je connais les papayers, les filaos, les
bougainvillées, aux lourdes grappes de sang. Sous
le manguier et le baobab nu, j’ai palabré avec lions

et gazelles, des osselets bénis plein les mains, pour
que chante la terre rouge du couchant, assis au bord
du vide. J’ai admiré l’envol des flamands et le combat

des buffles dans la poussière. Suivant le soleil d’un
visage pirogue, j’ai voulu nager. Mon cœur, tamtam
ardent, a roulé sur un ponton fleuri, jusqu’à la forêt.

08 02 17

Passion

Plus jamais, quelle idiotie, quelle scie, non, tais-toi.
Le jour ne se lève pas. Mots cassés, futiles. Danser,
jouer, rire, écouter, je n’en crois rien. Belle nuit, oh.
Je maçonne une citadelle de papier et je m’y perds,

m’entoure de masques chinois, de musique d’opéra.
Plus jamais, je n’y crois plus, je suis aveugle. Murs
de fumée, rêves d’amour. Glace de la salle de bains
piquetée de jours blancs. Le vain torrent des appels.

Pulpe du réel cisaillée d’éclairs, délice de sa chair.
Écoute la douce voix, le chant. Mais ne tourne pas
la tête, spectre d’Orphée. Mains nues saisir encore

cette peau, ce voile de gaité, plus jamais. Rue vide,
tu cours. Le fleuve, les arbres, les nuages. Douleur,
joie. Sur la berge, les statues blessées. Oh, passion.

06 02 17

Le refuge

Es-tu certain de n’avoir blessé personne, ton corps
brûle, ta pensée flotte. Le ressac, ta colère, s’écrase
sur les rochers. Les coques, les oursins se délectent
de riens. Toi, pour qui l’amour est phare éternel, tu

es aveuglé par le tremblé de tes émotions, ce séisme
de l’ombre. Sauve-toi, nage, plonge, dessine au fond
de l’océan, dans la poussière millénaire des abysses.
Là où tu échoues, au cœur du doute et de la joie, oh,

se tient la forêt. Les esprits veillent, des yeux furtifs
donnent aux feuilles l’éclat du diamant. Le soleil est
partout, en toi. Le sang est chaud, et sous tes pieds,

la mousse rouge crépite comme de la neige. Il suffit
d’un parfum, tu le connais, pour que s’envole, naïf,
le papillon de tes mains, vers la beauté, seul refuge.

04 02 17