I
Les fous de Bassan donnent à la falaise sa blancheur
verticale. Sans eux, l’eau furieuse hérissée d’écume
serait vaine, sans profondeur, ni houle à transpercer.
Le ciel joue sur leur impossible fusion, et la légèreté
des nuages fait écho à la grâce des baleines. L’océan
est un miroir. Il reflète l’absence, dilue les distances
infranchissables. Alors, proche et lointain scintillent.
Dans le regard des marins se dessine un invisible cri.
La nuit contient un jour possible, dans les embruns et
les rêves noyés. Jour incertain, se tenir prêt, près, que
dire, le départ est ténu, la frontière à venir. Une vague
peut tout changer, roche d’une île liquide, et la falaise
l’engloutit, pour le bonheur des coques et des oursins.
Sur terre, villes et forêts guettent les premiers rayons.
II
À la fenêtre, l’esprit ballotté par l’aube, mains posées
sur le garde-corps sillonné de fourmis insatiables, oh,
se devinent la fumée des cyprès, le ciel criblé de nues.
Les arbres sont triturés par l’autan. Faut-il voler pour
rejoindre ce qui toujours s’éloigne de moi, moi-même.
Faut-il scruter la nuit, à la lumière d’un lampadaire de
rue, auréolé de jour naissant. Proche, lointain, le corps
est prêt, près, que dire. Se taire à jamais, bras ouverts.
Esquisse d’un mouvement, silence, battement du sang
dans les mains, la profondeur de nos visages. Essayer,
voir, aventure du lointain. Ne pas redouter ce qui fuit,
ne pas fuir. Le sentier est fugace. Briser le dernier mot,
ouvrir, être là. Déploiement du jour, la falaise du temps.
Douceur du ciel. Parfum des figues et de l’absence, oh.
17 09 16. Inachevé 140 (textes 152 et 153. Fin)