Parfois, le matin est étourdi. Il rêve. Ciel,
nuages, oiseaux. Les montagnes invisibles,
les maisons, briques entrelardées de pierres
blanches, tout cela, si léger. Ces immeubles,
et derrière les fenêtres, tables, fauteuils, lits.
Une silhouette aperçue, immobile, évanouie.
L’épaisseur du temps imprègne chaque détail.
La branche naïve du figuier ravive celles qui,
l’an dernier, tremblaient au moindre souffle.
Les yeux sont embués de tant de fraîcheur,
de nouveauté. Vite séchés par une lumière
d’or. Mais ce matin, la perspective met à nu
l’invisible arrière-salle des êtres, des choses.
Dans la cuisine, s’affairer, ranger, concocter
je ne sais quoi. Tout manque. Alors bricoler
avec des riens, copeaux abandonnées à terre,
écaillures d’un amour à peine cueilli, déjà
fané, enveloppé de silence, sous une pile
de vêtements étonnés, teintés de voyages,
avec des feuilles d’arbres abattus par erreur.
Alors s’invite un homme sans âge, né d’hier.
Les yeux rougis par le sable et le chagrin,
de n’avoir su résister, quand vents, orages,
marées, s’attaquaient aux racines de l’esprit,
figeaient le corps pris dans le tourbillon de
l’émoi, abandonnant à l’air, pâles et fragiles,
les blessures de l’histoire, l’enfance du refus,
les éclats acérés de mille batailles obscures.
Lui reviennent enfin des mélodies nocturnes,
des fresques à la mémoire des premières fois,
tu sais bien, mots lancés en l’air, puis à l’eau,
engloutis jusqu’à la thermocline ou presque.
N’avait-il donc rien compris, la tête ailleurs.
Il parcourait l’univers sans effort, sans peur.
Mais ce visage, ces lèvres offertes, ces yeux,
ces doigts caressant son bras, cette lumière.
Là se tenait le secret de toute vie, dans le
frémissement des fleurs, et le vol haché
d’une libellule au soleil. Ainsi se répandent
les pensées matinales, diluées dans l’odeur
du café. La confiture de myrtilles n’arrive
pas à faire se dresser les pentes escarpées,
les chevaux déboulant au galop de la crête.
Le matin s’étale sur le palimpseste des mains.
26 04 16. Épiphanies 77